LES SOUVENIRS D’UN COMBATTANT ANONYME.
HOMMAGE A TSHISEKEDI WA MULUMBA LE « LEADER MAXIMO ».
C’était à l’aube de l’humanité, mon humanité
Alors que je ne voulais pas danser à l’école, et je vins à être puni plusieurs fois pour cela,
Un jour, mon pauvre père me dît : voilà, tu te plains de danser pour Mobutu à l’école,
maintenant c’est fini.
Tout naïf, je le regarde dans les yeux pour comprendre davantage et il me lance : « il y a les treize parlementaires dont Tshisekedi Wa Mulumba, qui ont fondé un parti politique pour chasser Mobutu ; désormais tu ne danseras plus à l’école ».
Tshisekedi, tel est le nom qui allait devenir pour moi une légende dans un contexte où, pour parler de Mobutu, on se retranchait dans la chambre à coucher.
Quant à la MOPAP, elle recrutait obligatoirement les animatrices danseuses maison par maison, et au quartier on était contraint de répondre à l’appel nominal des réunions hebdomadaires du MPR.
Dans mon innocence, j’ai cru que chasser Mobutu allait être facile comme l’eau à boire, je n’imaginais pas que le parti politique en question devait d’abord passer 8 ans dans la clandestinité avant de devenir public, je ne savais pas que dans la clandestinité nous devrions en parler, et dans la clandestinité, écouter le morceau de musique qui chantait « … bana Kananga, UDPS atindeli bino mbote ».
Dans la clandestinité, dis-je, nous grandissions ainsi avec l’UDPS, rêvant l’avènement du jour ensoleillé où elle devait réorienter le Zaïre sur le chemin du progrès social.
« Quelle que soit la durée de la nuit, le soleil finit par apparaître », et il apparût sous un ciel nuageux le 24 avril 1990. A la proclamation du multipartisme, quand l’UDPS devint le parti principal de l’opposition, nous nous empressâmes de le servir dans nos quartiers comme des pionniers, recrutant des membres ; comme les témoins de Jéhovah, notre jeune âge ne nous empêchait pas de le prêcher porte-à-porte, avec timidité, mais avec optimisme et innocence.
Sous le commandement de Tshimanga Nyembue Muludiki, notre leader local, chaque soir, comme ceux qu’on appellera « parlementaires debout », nous sommes harangués devant la villa du célèbre commerçant de Kananga qui frappe fort et crie de sa voix cassée : « tenez bon UDPS vaincra ». Je voudrais que mes amis d’enfance et mes cousins se souviennent de ces jours où dans la naïveté et la spontanéité de l’adolescence, nous nous abandonnions à l’UDPS comme un bébé se livre au sein de sa mère.
Mais le chemin que parcourt l’UDPS est long et tortueux, il met tous à l’épreuve sans injustice : Tshisekedi est frappé et emprisonné, relégué avec sa famille au village natal. Quant aux douze autres parlementaires, ils abandonnent le bateau en cours de navigation, ils sautent dans l’eau et se mouillent, tout en oubliant qu’on ne peut pas s’épargner de la pluie en se cachant dans un fleuve. Interrogé à ce propos par un journaliste, Tshisekedi répond et dit : la marche de l’UDPS est comme un train des chauves. Mais il a embarqué les vrais et les faux chauves ; quelques fois, ce train connaît des arrêts, et le temps de rejoindre la destination se fait toujours long.
Ainsi, les faux chauves voient repousser leurs cheveux, et par honte, ils se cassent. Quant aux vrais, ils sont patients et leur espoir de parvenir au bout du parcours ne souffre d’aucun ombrage.
Ainsi nous, comme de vrais chauves, nous allions clopin-clopant, écoutant et suivant la voix du maître intrépide, le sphinx national. Les hauts et les bas ne l’écroulent pas, les tentatives de corruption ne le séduisent pas, le dynamisme caractérise celui qu’on appellera désormais « monsieur le peuple d’abord », l’homme qui nous inspira de croire en notre Congo, celui qui nous a appris à confesser qu’il nous est impossible d’avoir un autre pays. Progressivement, Tshisekedi entre dans les cœurs et dans les âmes des compatriotes de tous les âges. Et c’est tellement émouvant que ma cousine qui, plus tard, verra la photo du couple Tshisekedi dans ma maison dira avec une voix larmoyante : « Nzambi wanyi, tatu ewu kafu to, mmuvuluki wa bena dikenga » (Mon Dieu que ce papa ne meurt jamais, c’est lui qui pense aux pauvres).
Quant à moi, devenu grand et même prêtre, j’ai le bonheur de tomber sur l’irréversible artisan de la démocratie au Congo, face-à-face comme dans un rêve, pendant des heures, je lui raconte mon histoire et ma peur de ne pas voir un Congo libre et démocratique. Mais il réplique : qu’on ne vous trompe pas, l’UDPS gouvernera ce pays, mais la nôtre est la voie de la non-violence ; nous triompherons sans armes ni bruit. Son propos était éloquent ; toutefois, à l’allure où évoluaient les choses, je n’avais pas l’idée que sa parole se réaliserait 19 ans après, ce 19 qui dura l’éternité. Oui, quelle que soit la durée de la nuit … 37 ans après, un Tshisekedi, mieux l’UDPS, peut bien être aux commandes, et je peux égrener mes souvenirs d’enfance, chantant le magnificat.
Qui pense au fanatisme ne sait pas les frustrations qu’ont certaines personnes, et je ferai mieux de l’envoyer étudier la psychologie de l’enfant pour comprendre aujourd’hui le sens du triomphe et de l’espoir qui nous habitent.
Avant cela, mon pauvre père devait mourir, celui qui me souffla que tu ne danseras plus à l’école ; en fait, dès le 24 avril 1990, nous ne dansions plus à l’école ; avant cela, Tshimanga Nyembue devait mourir, celui qui nous animait à lutter contre la dictature malgré notre jeunesse ;
Tshisekedi lui-même devait mourir, celui qui initia les congolais à la lutte contre la peur et leur apprît à mourir pour la patrie.
Ils sont morts mes mentors, mais comme les morts de Birago Diop, ils ne sont pas morts.
Ils sont dans les jeunes qui crient jour et nuit pour la liberté et la République,
Ils sont dans tous les martyrs qui ont coloré rouge notre sol de leur sang pour que le peuple gagne, ils sont aujourd’hui dans Felix Tshisekedi qui gouverne,
Ils sont dans les cœurs décidés de mieux faire pour le Congo,
ils sont dans l’espoir qui renaît des décombres des massacres de la dictature sous toutes ses versions.
Les leaders ne meurent pas, ils vivent pour toujours dans leur combat et dans leurs noms qui deviennent éternels.
Tshisekedi wa Mulumba, tu es pour moi une histoire, l’histoire de mon enfance et de ma jeunesse,
Pour moi, tu n’es pas seulement un leader national, tu es mon père, le Mukishi, esprit éternel,
Tu es et tu demeures l’icône de la lutte patriotique,
Tu es l’inspirateur du déterminisme et de la têtutesse bénéfique
Ceux qui t’aiment et ceux qui te haïssent reconnaissent tes mérites
S’il m’était possible de tuer la mort pour qu’elle ne te tue pas, voilà ce que j’aurais fait.
S’il était possible de te ressusciter aujourd’hui pour qu’on ne t’enterre pas, voilà ce que j’aurais fait.
S’il était possible de te garder pour toujours dans ma chambre pour te contempler même mort, voilà ce que j’aurais fait,
Mais à la place … il n’y a que mon cœur qui saigne.
Que dis-je, le cœur ne saigne pas pour rien, c’est parce que j’aurais voulu que tu sois vivant pour contempler ta réussite,
Mais je te rappelle que même dans la tombe tu deviens plus fort qu’avant,
Sur ta tombe « le peuple d’abord » est devenu plus célèbre que du temps de ta lutte.
Ton sacrifice a payé, aujourd’hui même les enfants qui tètent savent que papa alobaki « le peuple d’abord »
Les jeunes deviennent têtus plus que tu ne l’étais, et savent tous se rebeller contre le monopole de la parole,
Les opposants fourmillent, même ceux qui oublient que tu leur a ouvert la bouche.
Ton dévouement a payé, l’Etat de droit est en marche, il initie ses premiers pas et ses bégaiements pour cadrer un Congo qui parfume.
Sans toi, il n’y aurait pas eu ni multipartisme ni Sun City.
Ton sacrifice a payé et il payera jusqu’à l’éteignement du soleil,
Repose en paix, le GRAND COMBATTANT, et intercède pour nous auprès du ciel,
Le Sphinx ne meurt pas, il garde silence pour laisser émerger les lionceaux qui l’adorent et l’imitent,
Au-delà de la tombe, Ad annos Multos au royaume du bon Dieu, le seul qui te paie.
Ecrit à Rome, le 30 mai 2019, jour du rapatriement de la dépouille de feu Mr. Etienne Tshisekedi wa Mulumba,
fondateur et président de l’UDPS.
Sé/KANKONDE MAMBA, Ph.D.
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