Dr. Mukwege : Les massacres récurrents commis en Ituri consacrent l’échec de l’état de siège et de la diplomatie régionale

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Déclaration Du Dr. Mukwege Sur Les Massacres Récurrents Dans Les Provinces Sous Le Régime De L’état De Siège Et Les Consultations De Nairobi – 10 Mai 2022

La détérioration de la situation sécuritaire et ses conséquences humanitaires dramatiques dans les Provinces en conflit sous le régime de l’état de siège sont extrêmement préoccupantes et ne peuvent plus durer.

Les derniers massacres de masse ayant fauché la vie à plusieurs dizaines de personnes respectivement à Mongwalu le dimanche 8 mai et au camp de déplacés de Lodda près de Fataki ce lundi 9 mai 2022 dans le Territoire de Djugu en Ituri sont insoutenables et démontrent une fois de plus que la stratégie militaire soutenue par le gouvernement congolais depuis un an est incapable de protéger les civils et de prévenir la répétition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

En effet, c’est avec intérêt que nous avions suivi en septembre 2021 le rapport critique de la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée Nationale sur l’état de siège et c’est avec effroi que nous avons pris connaissance des récentes données collectées par le Baromètre sécuritaire du Kivu qui a établi que plus de 2500 civils ont été tués dans les Provinces de l’Ituri et du Nord Kivu entre avril 2021 et avril 2022, ce qui équivaut à près du double des tueries documentées l’année précédente, avant la décision prise le 6 mai 2021 de décréter l’état de siège.

L’augmentation des violations des droits humains, le nombre croissant de victimes parmi la population civile, l’extension des zones d’instabilité et la recrudescence du dynamisme de certains groupes armés tels que le M23 depuis l’entrée en vigueur de l’état de siège censé renforcer la protection des civils, neutraliser les groupes armés et pacifier les Provinces meurtries doivent impérativement amener les autorités congolaises à revoir en urgence la gouvernance sécuritaire et la diplomatie régionale.

C’est dans ce contexte que nous saluons l’intention du Président Félix Tshisekedi d’établir un plan de sortie de l’état de siège. En effet, cette mesure exceptionnelle qui restreint les droits et les libertés fondamentales, déjà prorogée à maintes reprises par le Parlement, n’a pas vocation à durer dans le temps et à être encore prolongée alors que l’insécurité est grandissante dans les deux Provinces concernées et que son impact sur la protection des civils est négatif. Cet échec doit être acté sans plus tarder.

En outre, nous tenons également à exprimer notre préoccupation sur le processus politique de consultations initié à Nairobi entre les autorités congolaises, les Etats de la région et une série de groupés armés. En effet, le projet annoncé de constituer une nouvelle force régionale composée des Etats de la région qui sont en grande partie responsables d’activités déstabilisatrices en République Démocratique du Congo (RDC), des cycles récurrents de violence et de l’exploitation et du commerce illégaux des ressources naturelles de notre pays depuis plus de 25 ans risque fortement d’aggraver et de prolonger l’instabilité et l’insécurité.

Il s’agit de retenir les leçons apprises des erreurs de passé et de ne pas les répéter : les autorités congolaises et la communauté internationale ne peuvent plus soutenir des stratégies de pompiers-pyromanes visant à entretenir un chaos organisé, des violations répétées de notre souveraineté ainsi que des atteintes quasi permanentes à l’intégrité territoriale de notre pays par les forces armées étrangères ou par des groupes armés soutenus par les Etats voisins, violations graves du droit international qu’aucune Nation indépendante ne peut tolérer.

Ainsi, nous renouvelons notre plaidoyer pour une réforme profonde du secteur de la sécurité et un assainissement sérieux de nos forces de sécurité et de défense, prérequis indispensable à tout effort visant tant à la sécurisation de notre pays que de sa population. Cette réforme est inscrite dans la résolution 2612 du Conseil de Sécurité des Nations Unies établissant le mandat actuel de la MONUSCO et de sa Brigade d’Intervention. Il s’agit aussi d’utiliser pleinement les potentialités de la résolution 2612 qui prévoit en vertu du Chapitre VII de la Charte une planification et une coopération renforcée entre les Casques bleus et les forces de sécurité et de défense congolaises pour mener des opérations conjointes plus effectives et exploiter toutes les mesures nécessaires pour éliminer la menace posée par les groupes armés congolais et étrangers et endiguer le climat d’insécurité qui prévaut toujours à l’Est de la RDC.

L’importance de mobiliser une réelle volonté politique pour mettre en œuvre des réformes institutionnelles visant le secteur de la sécurité sera non seulement indispensable pour consolider l’édification d’un état de droit fort et protecteur des libertés fondamentales mais aussi pour mener à bien un processus de justice transitionnelle visant à parachever la transition entre une longue période de guerre et la paix, et entre un régime prédateur et autoritaire et la démocratie.

En effet, alors que les diverses tentatives de recherches de solution politique et militaire de ces dernières décennies ont toutes échouées à stabiliser le pays et à protéger les civils, le temps est venu de dire la vérité et le droit, et de prioriser la justice et l’obligation de rendre des comptes pour les auteurs présumés des crimes les plus graves commis depuis plus d’un quart de siècle en RDC dans la stratégie des Nations unies pour la consolidation de la paix, la prévention et le règlement des conflits dans la région des Grands Lacs, et de placer le recours à tous les mécanismes de la justice transitionnelle, tant judiciaires que non judiciaires, au cœur du mandat et de la stratégie de retrait progressive, responsable et durable de la MONUSCO.

Denis Mukwege

Prix Nobel de la Paix 2018

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