Révisions constitutionnelles en Afrique : les clefs du royaume

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Depuis le début de cette année, une odeur intenable empeste le monde politique du continent africain. Principalement dans sa partie subsaharienne. Une odeur qui inspire la modification des constitutions des Etats au sujet de l’extension des mandats présidentiels. Il s’avère que la plupart des mandats présidentiels dans cette région du monde prendront fin d’ici 2 à 3 ans. Pour justifier cette démarche, certains chefs d’Etat ou leurs sympathisants mettent en avant «  le choix populaire, l’évolution des circonstances ou la particularité de la culture Africaine. »

Si les années qui ont suivi les indépendances africaines étaient caractérisées par des coups d’Etat militaires et autres confiscations du pouvoir politique par des régimes autocratiques, les années 90 ont par contre soufflé un vent de démocratisation. Les dictateurs chanceux qui n’ont pas été éjectés de leur fauteuil ou ont échappé aux destins de leurs prédécesseurs qui se sont prêtés aux jeux démocratiques et ont semblés se comporter en bons joueurs, pour certains. Tel est le cas de Denis Sassou Nguesso du Congo Brazzaville qui perdit les élections de 1992 et devenait la figure emblématique de l’opposition durant 5 ans avant d’être rattrapé par le naturel en revenant au pouvoir après avoir gagné une guerre civile.

Contrairement aux années antérieures, le processus démocratique africain fait face à un nouveau challenge, celui de l’époque des changements de constitution. « Tout en acceptant que l’écriture des constitutions se font généralement en urgence, il est tout à fait normal qu’elle se fasse amender de temps en temps », dit Jean Dubois Gaudusson, un constitutionnalise français. « Une constitution se change, en effet, et c’est parfaitement conforme à l’Etat de droit; si l’on fait référence au cas français, on s’apercevrait qu’une constitution peut se changer assez souvent, dès lors que les procédures sont respectées et que la révision s’effectue dans les formes républicaines » ajoute-t-il. Malheureusement la révision constitutionnelle en Afrique est perçue comme « une technique de confiscation et de monopolisation du pouvoir par le chef de l’Etat; et ensuite comme  un instrument de pérennisation d’un système politique » complète Adja Djounfoune, enseignant et chercheur Tchadien.

En effet, l’histoire des conférences nationales africaines nous rappelle que les autorités de cette époque n’avaient pas de choix que de se soumettre aux pressions intérieures et extérieures. En réalité, comme on se rendra compte plus tard, c’était juste pour gagner du temps parce qu’après les élections qui se sont voulues démocratiques, la plupart de ces pays sont rentrées à la case de départ. Les nouvelles institutions “voulues” démocratiques et nouvellement installées pour consolider la démocratie se transformeront vite en régime totalitaire, usant de la répression et du viol des libertés fondamentales pour préserver le pouvoir comme à la triste époque des dictatures. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, au finish, les coup d’Etats et les rebellions étaient de retour. L’immense espoir et les aspirations légitimes suscités par les conférences nationales s’envolèrent. La République Démocratique du Congo en est un exemple patent.

Apres la chute du mur de Berlin, comme ses pairs africains, la RD Congo (ex Zaïre) n’avait pas fait exception à la règle. Le président Mobutu, croulant sous des pressions autant internes qu’externes rouvrit son pays au multipartisme. Mais après la conférence nationale qui se voulait souveraine, où le peuple s’était réuni à travers les représentants des couches sociopolitiques, avec comme mission de jeter les bases nouvelles d’une société plus juste, le statu quo avait difficile à céder sa place . L’anarchie continuait dans un système qui ressemblait un tout petit peu à la démocratie. Cette situation ne dura pas parce que juste après le génocide Rwandais, le conflit armé traversa la frontière sous la forme d’une «  rébellion » avec en tête un ressuscité des années 60: Laurent -Désiré Kabila.

Avec Laurent -Désiré Kabila, le Zaïre reprit sa dénomination d’antan : République Démocratique du Congo. Et comme tout les pays qui portent le nom de « démocratique » (comme la République Démocratique du Corée, l’ex République démocratique de Somali, etc.…), l’ex- Zaïre n’échappa pas à la règle: suspension des partis et toutes autres activités politiques, etc.

Ce climat conduisit le pays vers une myriade des « rebellions » qui divisa le pays. Quelques années plus tard, après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, son fils Joseph Kabila hérita du pouvoir, et avec les différents belligérants, il signa « une paix des braves ». Ensemble, ils s’accordèrent sur une nouvelle chance à donner au pays pour un nouveau départ. Pour y arriver, une fois de plus, les congolais se rencontrent dans une sorte de mini conférence nationale où fut rédigé l’actuelle constitution de la RDC. L’une de difficultés rencontrées durant la rédaction de ce texte était l’âge accordé aux prétendants à la magistrature suprême qui n’était pas en faveur de Joseph Kabila( 30 ans à l’époque) qui nourrissait l’intention se présenter aux futures élections. Ses représentants devaient batailler fort pour arracher un consensus avec les autres délégués à propos de cet article à problèmes. A la fin un compromis était trouvé et Joseph Kabila était libre de poser sa candidature.

En 2006, la RD Congo organisera pour la deuxième fois de son histoire des élections libres et démocratiques au suffrage universel avec l’espoir de consolider la paix précaire retrouvée. Joseph Kabila sera reconnu président élu de la République. Son challenger, Jean-Pierre Bemba reconnut sa défaite en allant le féliciter à son bureau. Pour une bonne partie de la population l’espoir était permis avec Kabila vue sa jeunesse. Il insufflera sûrement une nouvelle méthode de gouvernance et fermera les pages sombres des dernières années: « plus de dictature, plus d’injustice, plus de corruption, plus de 32 ans au pouvoir,… », se disaient la plupart d’entre eux. D’ailleurs, pour décourager quiconque qui aurait l’idée de s’éterniser au pouvoir, les articles relatifs au mandat du président de la république furent verrouillés. Dorénavant le président de la République a un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Mais il se fait que l’appétit vient en mangeant…

Quelques mois après la proclamation des résultats, Jean –Pierre Bemba, ancien belligérant, candidat malheureux à la présidentielle et devenu sénateur fut contraint par les armes à s’exiler en Europe pour avoir refusé de se délester de sa milice qui assurait sa sécurité à Kinshasa. Quelques années plus tard, il se faisait cueillir en Belgique puis transféré en Hollande suite à un mandat d’arrêt international lancé contre lui par la CPI pour des « graves exactions qu’auraient commis ses soldats » à Bangui, en RCA. Ces derniers étaient envoyés en renfort au régime démocratiquement élu de Ange-Félix Patassé, encerclé par des rebelles.

« Petit à petit, l’ivresse du lait aidant, le président Kabila s’est mis à se comporter comme un chef de village. Après quatre ans d’exercice, le régime du PPRD avait du mal à tenir ses promesses faites aux congolais. », raconte un opposant congolais de la diaspora. Après quatre ans d’exercice, le régime du PPRD avait du mal à tenir ses promesses faites aux congolais. Ce dans ce contexte qu’Etienne Tshisekedi, l’opposant historique, pourtant annoncé moribond dans une clinique en Belgique, fait un comeback, d’abord médiatique sur France 24 ou il annonce sa candidature à la présidentielle, puis en réussissant un retour triomphal à Kinshasa. « Ce retour qui bouleverse tous les calculs et auquel personne ne s’attendait pousse la majorité au pouvoir à retoucher la constitution de 2006 en changeant notamment le mode de scrutin », continue-t-il.  L’élection présidentielle se fera désormais en un seul tour. Officiellement, cette chirurgie sur la loi fondamentale était impérative pour faire des économies car l’Etat n’était pas en mesure de financer une élection à double tour. Finalement, les élections se déroulèrent sans que le pouvoir et l’opposition ne s’accordent sur plusieurs points dont les méthodes de travail de la Commission Electorale Nationale Indépendante. Les élections législatives et présidentielles de 2011 se révéleront «  chaotiques » selon l’avis de l’opposition, des ONG locales et internationales, de l’église majoritaire des catholiques et même tenez-vous bien…du camp du président sortant. Et trois ans plus tard, les chiffres exacts de résultats de ces élections ne sont toujours pas connus.

Kash, un caricaturiste congolais de renom, résuma assez bien ces résultats vivement contestés: « les scrutins de 2011 nous a gratifiés de deux vainqueurs : un président autoprogrammé (Kabila) et un président autoproclamé (Tshisekedi) ! ». Mais la CENI et la Cour Suprême de justice, en dépit des critiques qui fusaient de partout proclamèrent Joseph Kabila président élu. Au sujet des résultats du scrutin, Joseph Kabila et une minorité d’organismes témoins des élections diront: «  Il y a eu de la tricherie, certes, mais cela ne change en rien l’ordre d’arrivé proclamé par la CENI ». Et depuis quand on interroge un certain nombre de congolais sur la marche du pays, après tant d’espoir déçu, ils répondent qu’on fait du surplace. D’autres estiment qu’on régresse d’année en année bien que les discours officiels appuyés de chiffre disent autre chose.

Les défis que la classe dirigeante proclamait comme prioritaires, depuis une décennie tardent toujours à être relevés. L’amélioration sociale du reste toujours au menu des promesses. L’accès à une alimentation digne aux soins de santé et aux études pour le plus grand nombre est un casse-tête quotidien. La possibilité de trouver un emploi pour des millions des chômeurs dans un pays a la population jeune est des plus hasardeuses.
Par ailleurs les violations massives des droits fondamentaux des congolais vivant au pays ou ailleurs sont année par année répertoriées dans plusieurs rapports d’ONG locales et des Nations unies. Dans les rapports sur le développement humain, doing business, etc…la RDC se retrouve toujours parmi les mauvais élèves.

Récemment, le PPRD, le parti au pouvoir ainsi que ses alliés, malgré ce tableau sombre d’une gouvernance pour le moins désastreuse ont déclaré leur volonté d’adapter l’actuelle constitution aux enjeux du moment. Ils critiquent leur propre insuffisance d’avoir limité le nombre des mandats à deux, en 2006. Ils investissent au quotidien les plateaux des télévisions, estimant que leur « autorité morale » a bien travaillé ! Et pour lui prouver leur gratitude, ils entrevoient  carrément  la rédaction d’une nouvelle constitution pour conserver le pouvoir. A ce propos, une campagne sans équivoque (signée Kin Kiey, ministre des PTT ) aux relents mobutistes occupent depuis des mois les « unes » de ses deux journaux kinois : « Kabila nainu tolembi yo te! Nano totondi yo te!(kabila nous ne sommes pas encore fatigués de toi, nous avons toujours besoin de toi ! ) ». En d’autres termes, faire sauter le fameux article 220  de la constitution qui garantit l’alternance, c’est pour bientôt.

Pour y arriver, le PPRD et ses alliés au pouvoir proposent un referendum, entre autres solutions. Réponse du berger à la bergère: “Où trouveront- ils l’argent pour organiser ce referendum puisque la même majorité présidentielle déclarait qu’il n’y en avait pas assez dans les caisses de l’Etat pour organiser tout le processus des élections locales “, déclare un leader de l’opposition.
Pour revenir au referendum, selon certains juristes qui connaissent la constitution congolaise, son amendement est un exercice tout à fait normal et légitime d’autant plus que la constitution a prévu des dispositions pour le faire au besoin. Mais pour Dossu Robert, avocat et politicien béninois : « Une action peut être dans la ligne de la légalité la plus pure et se révéler parfaitement illégitime. La légitimité, c’est la conformité à la conscience du moment. »

Vis à vis de ce nouveau challenge, l’opposition congolaise se dit déterminée à s’organiser comme c’était le cas au Sénégal quand Abdoulaye Wade voulait se représenter. “Mais malheureusement la RDC n’est pas le Sénégal. Depuis un certain moment, le discours de l’opposition Congolaise est devenu inaudible. Ces mots d’ordre ne sont carrément pas suivis”, commente un journaliste de BBC Afrique lors d’un débat radio diffusé. Cette assertion pourrait paraître erronée compte on prend en compte l’affut de la population lors d’un meeting organisée au début de cette semaine dans un faubourg de Kinshasa a la va vite au sujet de l’actualité de l’heure.

La CENI congolaise n’ayant rien à avoir avec la Commission électorale sénégalaise, l’opposition congolaise a réellement du pain sur la planche. Des questions sans réponses subsistent. En 2011 la majorité au pouvoir avait installé le pasteur Ngoy Mulunda, un « proche parent » de joseph Kabila à la tête de la CENI, avec la suite qu’on connait. Cette fois ci, l’abbé Malumalu, président honoraire de la dite commission (en 2006) et réputé conseiller du chef de l’Etat actuel est revenu aux affaires. D’où la grande question: « Qu’attendre d’un referendum organisé par la CENI, ou trône à sa tête un proche collaborateur de Kabila, en terme d’impartialité? »

Sur les réseaux sociaux où le débat sur le sujet s’enflamme déjà, les coups de gueule s’entrechoquent ! A Kinshasa, la question a quitté les salons huppés et les plateaux des médias cathodiques. Elle déferle désormais la rue, les taxi-bus… “En réalité la machine de la tricherie pour 2016 était déjà en marche depuis 2011. Un parlement élu dans les conditions que nous connaissons… Avec la cooptation (ou débauchage) de quelques figures de l’opposition pour bien faire et finalement une cour constitutionnelle constitué des proches du pouvoir à l’approche du sprint final, juste avant le référendum… C’est de la distraction !” Commente un internaute sur Facebook au cours d’un débat sur le sujet.

Comme le démontre le cas de RDC, on se rend compte que les peurs qui ont motivées les raisons du verrouillage des mandat présidentiels étaient justifiées car cette modification qui est sollicitée n’a pour but que la confiscation du pouvoir. Le discours du secrétaire général du parti de Kabila, Evariste Boshab , est sans détour : « Nous allons modifier la constitution pour conserver le pouvoir » .

Un cadre du PPRD que nous avons contacte pour en savoir plus sur les raisons de ce tripatouillage de la loi fondamentale actuelle, nous dira sans détour : « Nous voulons la changer parce que maintenant, nous y voyons clairs ! »
Pour rappel, voici quelques pays africains qui ont modifié leurs constitutions pour répondre à un dénominateur commun: «Modifier la Constitution pour rester au pouvoir pour toujours”: Guinée (2002), le Tchad (2005), la Mauritanie (1991), Burkina Faso (1997 et la restauration de cette limitation en 2000), la Tunisie (2002), au Togo (2003) et en Ouganda (2005).

Par Didier Demif (Tweeter :@didierdemifCaricature: Thembo Kash

SOURCE : didierdemif.com

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